Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Oxytoyen
18 janvier 2009

Gaza : décryptage provisoire de l’opération « Plomb durci »

Le gouvernement israélien a lancé contre le Hamas la plus intense opération militaire dans la Bande de Gaza, son bastion historique, depuis la guerre des Six-Jours (1967). Il lui impute la responsabilité de l’escalade de la violence armée après la non reconduction d’une trêve bilatérale de six mois et la multiplication des provocations balistiques sur son territoire. Tsahal a déclenché l’opération « Plomb durci » le 27 décembre 2008. L’armée de l’air et la marine ont d’abord mené des frappes ciblées contre les infrastructures et les personnels du bras armé du Hamas (les Brigades Izzedine al-Qassam) mais aussi contre ceux des institutions politiques, sociales et religieuses contrôlées par lui : ministères, forces de sécurité, casernes de police, universités, mosquées, studios de télévision, etc. L’armée de terre a ensuite mené dans l’enclave une offensive terrestre avec l’appui de l’artillerie et de l’aviation.

 

Il est toujours difficile d’analyser à chaud un conflit armé tandis que le « brouillard de la guerre » est encore épais. Surtout lorsqu’en l’espèce les buts de guerre des belligérants reste délibérément flous et qu’il s’agit d’un conflit de légitimités dans lequel la gestion et la manipulation des perceptions, par des manœuvres plus ou moins psychologiques, façonneront in fine l’image du « vainqueur » – c’est du reste la raison pour laquelle Tsahal opère à huit clos médiatique en interdisant aux journalistes étrangers de reporter du champ de bataille. Au terme de la deuxième semaine de l’opération « Plomb durci » et après un bref rappel historique, nous nous contenterons donc d’envisager les buts des protagonistes du conflit armé puis les effets contreproductifs de l’escalade de la violence.

 

 

 

BREF RAPPEL HISTORIQUE

 

Le conflit israélo-palestinien oppose deux nations qui poursuivent des buts perçus par elles comme incompatibles : le contrôle d’un même territoire, celui de l’ancienne Palestine à l’exclusion de la Transjordanie. Des « paramètres de Clinton » (décembre 1999) à « l’initiative de paix arabe » (février 2002, relancée en mars 2007) en passant par la « feuille de route » (juin 2003), les précédentes modalités de règlement du conflit ont toutes échoué.

 

 

Ce conflit est compliqué par les multiples dynamiques conflictuelles qui s’enchevêtrent dans la région. Actuellement, un clivage saillant oppose les gouvernements « pro-occidentaux » (l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite et l’Autorité palestinienne du Fatah) aux « anti-occidentaux » (l’Iran, la Syrie et leurs délégués armés non étatiques, le Hezbollah libanais chiite et le Hamas palestinien sunnite).

 

Né au début de la première Intifada (1987), le Mouvement de la résistance islamique, ou Hamas, s’est développé au fil des échecs du processus de paix israélo-palestinien (1993-2000) puis s’est enraciné dans la société gazaouie pendant la deuxième Intifada (2001-2003). Son idéologie se trouve au carrefour du nationalisme palestinien et du fondamentalisme islamique.

 

A l’été 2005, le premier ministre israélien Ariel Sharon avait désengagé unilatéralement Tsahal de la Bande de Gaza. Mais l’emprise israélienne sur l’enclave n’avait fait ensuite qu’évoluer d’une occupation à un siège, Israël conservant le contrôle des frontières, de l’espace aérien et des approvisionnements (eau, électricité, etc.) de Gaza.

 

Le conflit territorial israélo-palestinien s’est doublé d’une lutte de factions intra-palestinienne, pour le contrôle du pouvoir au sein de l’Autorité palestinienne, entre les laïques du Fatah et les islamo-nationalistes du Hamas depuis que ces derniers ont remporté les élections législatives de janvier 2006. Après un éphémère gouvernement d’union nationale au printemps, le Hamas s’est emparé en juin 2007 du contrôle de la Bande de Gaza par un coup de force (qu’il avait précipité pour préempter un projet de putsch par le Fatah armé et entraîné par les États-Unis). Depuis lors, les Territoires palestiniens sont divisés en deux entités politiques : le Hamas contrôle la Bande de Gaza à partir de la ville éponyme ; le Fatah contrôle la Cisjordanie à partir de Ramallah.

 

Le Hamas et le gouvernement israélien se rejettent l’un l’autre. Le Hamas nie le droit à l’existence d’Israël ; sa Charte fondatrice prévoit toujours formellement la destruction de l’État hébreu et le remplacement de l’Autorité palestinienne par un État islamique. De son côté, le gouvernement israélien ne reconnaît pas la légitimité du Hamas ; en septembre 2007, il a qualifié le gouvernement de Gaza d’« entité ennemie » ; il négocie toujours avec lui via l’Égypte, mais jamais directement. De leur côté, les États-Unis et l’Union européenne qualifient le Hamas d’ « organisation terroriste ». Ils posent trois conditions à sa reconnaissance : le renoncement à la violence, la reconnaissance de l’État d’Israël et l’acceptation des accords conclus par l’Autorité palestinienne depuis 1993. Les – rares – échanges informels empruntent le canal d’interlocuteurs tiers comme l’Égypte, la Norvège, le Qatar, la Russie, la Syrie et la Turquie. La plupart des gouvernements arabes, dits « modérés », perçoivent dans le Hamas une menace à la stabilité de leurs régimes. Au contraire, les gouvernements iranien et syrien, dits « radicaux », le soutiennent politiquement, financièrement et militairement.

 

L’opération « Plomb durci » est le 7ème conflit armé israélo-arabe (1948, 1956, 1967, 1973, 1982, 2006, 2009) et le 4ème israélo-gazaoui (1948, 1956, 1967, 2009). Ni le Hamas ni le gouvernement israélien ne se satisfaisait du statu quo ante bellum. Chacun percevait un intérêt à sa modification par la force. Aux « provocations » du premier pour escalader le conflit (« provocations » toutefois relatives si l’on considère que l’incursion de Tsahal dans Gaza le 4 novembre 2008 avait déjà, de facto, rompu la trêve), le second a donc répondu par la force armée. Tous deux escomptait par-là des gains à la fois externes (ou diplomatico-stratégiques) et internes (ou politiques).

 

 

 

LES BUTS DU HAMAS

 

Au niveau diplomatico-stratégique, le Hamas cherche à acquérir un début de reconnaissance diplomatique formelle, à devenir une force politique – donc un interlocuteur – incontournable pour la résolution du conflit israélo-palestinien et à extraire des concessions diplomatiques – l’assouplissement voire la levée du blocus israélien, l’ouverture par l’Égypte du poste de frontière de Rafah.

 

Il essaie de délégitimer le gouvernement israélien et de décrédibiliser Tsahal. Il rappelle l’absence de bénéfices de la trêve pour les Gazaouis : ni levée du blocus terrestre et maritime israélien, ni libération de prisonniers. Il met en exergue l’impossibilité d’administrer un territoire assiégé. Et il survit tant bien que mal à la puissance militaire conventionnelle d’une armée pourtant réputée invincible.

 

Parallèlement, il tente de disqualifier les doubles standards des gouvernements occidentaux comme arabes « modérés », et de les forcer à se distancier de leur homologue israélien. Sa seule existence incarne symboliquement l’échec de la stratégie occidentale consistant à l’ostraciser diplomatiquement et financièrement au profit du Fatah, tout en soulignant l’impossibilité d’administrer un territoire assiégé privé des subsides internationaux réalloués à son seul rival interne. Et il pressurise les puissances régionales et internationales en mobilisant par la sympathie le soutien de leurs opinions publiques.

 

Au niveau politique, les islamo-nationalistes du Hamas cherchent à prévaloir sur leurs rivaux laïques du Fatah dans la lutte pour le contrôle du pouvoir au sein de l’Autorité palestinienne, et à toucher les dividendes électoraux de l’extraction de concessions diplomatiques. Au minimum, ils cherchent à retrouver une place dans un gouvernement d’union nationale.

 

Le Hamas est une institution à la fois sociale et politique réputée intègre. Il avait remporté les élections législatives de 2006 sur un programme comprenant la lutte contre la corruption et le clientélisme ainsi que l’amélioration de la vie quotidienne de la population. Or, les conditions de vie des Gazaouis se sont régulièrement détériorées depuis, et à une vitesse accélérée après le coup de force de 2007. Pour ménager sa base, le Hamas détourne donc son attention des problèmes internes en rompant une trêve bilatérale d’autant plus politiquement intenable qu’elle n’avait apporté aucun bénéfice concret.

 

Simultanément, le Hamas s’applique à discréditer le Fatah. Il restaure son statut d’unique lutteur pour la « cause palestinienne » en se présentant comme détenteur du monopole de la résistance armée contre « l’ennemi sioniste », et en ancrant la perception que « l’ennemi intérieur » capitule impuissant devant l’État hébreu pour « brader la paix » (il est engagé dans le processus de négociation politique), voire en est le complice objectif tant il reste inerte face à l’intervention militaire israélienne.

 

Enfin, le Hamas retrouve une cohésion interne. L’enjeu de la reconduction de la trêve bilatérale avec Israël avait réactivé le clivage entre pragmatiques modérés (qui étaient favorables à la reconduction) et idéologues radicaux (qui appelaient à reprendre la lutte armée). Non seulement l’offensive israélienne resserre les rangs du mouvement, mais encore cette cohésion retrouvée renforce sa capacité de négociation politique comme diplomatique.

 

 

 

LES BUTS DU GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN

 

Au plan diplomatico-stratégique, le gouvernement israélien cherche à anéantir la capacité et la volonté de nuire du Hamas, ainsi qu’à entamer sa légitimité et son contrôle politique sur Gaza. L’opération militaire se poursuivant, nous ne pouvons toutefois pas exclure un objectif de guerre totale : l’éviction du « gouvernement » du « premier ministre » Ismaël Haniyeh.

 

L’armée israélienne s’efforce de créer un « nouvel environnement sécuritaire ». Elle dégrade l’appareil militaire du Hamas : ses centres de commandement et de contrôle, ses capacités de frappe (notamment les sites de fabrication, stockage et lancement des arsenaux de roquettes et de missiles), etc. Elle démantèle le système d’approvisionnement du mouvement, principalement son réseau de tunnels subfrontaliers qui sert à la contrebande des armes et des explosifs (acheminés d’Iran via la Syrie) ainsi qu’au déplacement clandestin des activistes. Elle restaure vis-à-vis des acteurs armés non étatiques de la région sa force de dissuasion écornée par la résilience du Hezbollah libanais à l’été 2006 (1). Et elle grignote un peu de profondeur stratégique sur l’arrière-cour gazaouie.

 

Le gouvernement israélien espère que le peuple de Gaza imputera in fine la responsabilité des pertes civiles et des destructions d’infrastructures à l’impéritie de ses gouvernants incapables d’administrer une collectivité, et qu’il se persuadera de la nécessité de changer de représentants, par les urnes ou dans la rue.

 

En réagissant avant le 20 janvier 2009, le premier ministre Ehoud Olmert savait par ailleurs pouvoir compter sur le soutien inconditionnel du président américain sortant. La rhétorique de George W. Bush, amalgamant activistes du Hamas et djihadistes d’al-Qaïda dans une même « guerre contre la terreur », a toujours nourri l’idée légitimante d’un combat solidaire des Occidentaux contre une menace globale à leurs intérêts stratégiques. Concrètement, le 43ème président américain a bloqué aussi longtemps que possible les initiatives diplomatiques internationales au sein du Conseil de sécurité des Nations Unis ; et si les États-Unis se sont finalement abstenus lors du vote de la résolution 1860, c’est parce qu’elle était proposée par le Royaume-Uni et qu’elle appelait à un cessez-le-feu immédiat mais non au retrait immédiat des forces israéliennes de Gaza. Du reste, Olmert épargne ainsi à Obama un encombrant cadeau de bienvenue : la délicate gestion publique d’une nouvelle intervention militaire de son allié stratégique.

 

Jusqu’à ce que la pression diplomatique internationale devienne insoutenable, le contraignant à faire taire les armes, le cabinet de sécurité israélien va donc capitaliser sur son avantage militaire pour modifier favorablement le rapport de forces sur le terrain, de sorte que soient créées les conditions psychologiques et sécuritaires d’une solution politique avantageuse lui permettant de forcer la conclusion d’un cessez-le-feu pérenne et global avec le Hamas, puis de réamorcer le processus de paix en situation de force.

 

Au plan politique, l’horizon des gouvernants israéliens est borné par les élections législatives de février prochain. Certes, le terrorisme du Hamas n’est qu’un irritant tactique et non une menace stratégique ; la sécurité des intérêts vitaux israéliens est assurée par les traités de paix signés avec l’Égypte et la Jordanie ainsi que par la coopération avec la Syrie. Il n’empêche : le devoir élémentaire de tout État souverain est de garantir la sécurité physique de ses citoyens ; l’attentisme sécuritaire était par conséquent devenu politiquement intenable face aux provocations balistiques du Hamas.

 

Surtout lorsque le leader conservateur du Likoud, Benyamin Netanyahou, gagnait en popularité en stigmatisant par son vocabulaire intransigeant « l’apaisement » dont faisaient preuve selon lui les partis du gouvernement Olmert, et en allant jusqu’à préconiser d’abandonner le processus de négociation politique avec les Palestiniens. Les partis du gouvernement de coalition – le parti centriste Kadima (dirigé par la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni) et le parti travailliste Avoda (dirigé par le ministre de la Défense Ehoud Barak) – ont donc décidé de toucher les dividendes électoraux de l’activisme martial. Leur popularité a déjà progressé aux dépens de celle du parti d’opposition tant les sondés approuvent unanimement les opérations militaires pendant que leurs responsables politiques maintiennent l’« union sacrée ».

 

Soucieux de l’héritage qu’il lèguera à la postérité, et finalement loin de se contenter d’expédier les affaires courantes, l’impopulaire premier ministre Olmert a, lui, parié qu’il avait là une opportunité de réapprécier une image ternie par les 33 jours de débâcle militaire israélienne au Sud-Liban.

 

 

 


QUID DES ETATS-UNIS ?

 

Le président sortant américain a exprimé son soutien à l’opération lancée par Tsahal. Comme le gouvernement israélien, George W. Bush a imputé la responsabilité de la rupture du cessez-le-feu et de l’escalade aux provocations du Hamas. Loin de dénoncer un usage disproportionné de la force par Israël et de l’inciter à retenir sa puissance de feu, il a justifié la poursuite de l’offensive israélienne jusqu’à ce que soient créées les conditions d’un cessez-le-feu pérenne qui modifie le statu quo ante bellum en dissipant la menace balistique gazaouie. En opposant pendant deux semaines leur veto aux initiatives diplomatiques internationales des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, les États-Unis ont accordé un relatif blanc-seing à Israël.

 

De son côté, le président élu des États-Unis a justifié une prudence confinant à l’attentisme par son devoir de réserve. Si Barack Obama a refusé de s’exprimer sur le conflit avant son entrée en fonction, ses prises de positions antérieures suggéreraient d’interpréter son silence comme un consentement tacite : pendant la seconde guerre du Liban, le sénateur Obama avait soutenu l’offensive israélienne prolongée contre le Hezbollah ; au cours de la récente campagne électorale présidentielle, le candidat Obama avait souligné le droit légitime d’Israël à se défendre pour assurer sa sécurité, et il avait manifesté sa volonté de poursuivre la coopération bilatérale avec l’État hébreu pour le développement d’un système de défense antimissile.

 

Sauf à considérer que la transition présidentielle américaine revienne à un vide du pouvoir, les présidents sortant et entrant se sont vraisemblablement coordonnés : déjà impopulaire, le président sortant a probablement cherché à s’imputer les coûts diplomatiques et politiques du soutien au gouvernement Olmert pour offrir à son successeur l’opportunité de capitaliser sur une situation qui ne pourra que s’améliorer, avec notamment la conclusion d’un cessez-le-feu.

 

Quel sera l’engagement futur de l’administration Obama dans la résolution du conflit ? Certes, l’environnement politique du futur président est, par défaut, plutôt pro-israélien. Si elle a choisi comme envoyé spécial pour le Proche-Orient et l’Iran l’ancien négociateur Denis Ross, la future secrétaire d’État Hillary Clinton avait, pendant la campagne présidentielle, qualifié de « naïve » l’idée de dialoguer avec le Hamas. L’origine et la trajectoire personnelle du futur chef de cabinet de la présidence, Rahm Emanuel, font espérer aux lobbies pro-israéliens qu’ils disposeront d’un fidèle relais de leurs idées à la Maison-Blanche. Et le Congrès a récemment voté une résolution bipartisane réaffirmant univoquement la légitimité du droit d’Israël à s’auto-défendre. L’attentisme du président élu pourrait donc annoncer un engagement limité ou a minima.

 

Mais, sans pour autant remettre en cause le partenariat stratégique avec l’État israélien (la puissance nucléaire reste et restera le premier récipiendaire de l’aide économique et militaire directe américaine aussi longtemps qu’elle continuera, entre autres, de servir de tête-de-pont opérationnelle en Méditerranée orientale), Obama pourrait infléchir la politique israélo-palestinienne des États-Unis dans le sens d’une conditionnalité accrue de leur soutien et, notamment, tenter de persuader son allié de renoncer à la poursuite d’une politique illégale de colonisation. Il pourrait par ailleurs vouloir établir un canal de communication informel avec le Hamas.

 

 

 

 

 

LES EFFETS CONTREPRODUCTIFS

 

Chacun des belligérants avait calculé pouvoir dénouer la situation conflictuelle à son avantage. Néanmoins, tout conflit armé est un système d’interactions complexes caractérisé par l’imprévisibilité et les frictions : au regard des buts poursuivis, la violence armée a déjà généré des effets contreproductifs ; et elle en porte en germe.

 

 

 

Pour le Hamas

 

Le conflit armé entre le gouvernement israélien et le Hamas est un conflit asymétrique dans lequel l’un veut gagner et l’autre ne pas perdre. Dès lors, le second « gagne » tant qu’il ne perd pas. Toutefois, à moyen-long terme, le conflit pourrait s’avérer contreproductif pour le Hamas.

 

La division des Territoires palestiniens en deux entités politiques avait déjà compliqué les négociations israélo-palestiniennes et le projet de formation d’un État palestinien. En exacerbant les rivalités de pouvoir intra-palestiniennes, le conflit armé renforce l’hypothèse de la création de deux proto-États palestiniens. Peu viables, la Cisjordanie et Gaza pourraient alors rapidement glisser sous la domination réticente de leurs administrateurs historiques (respectivement la Jordanie et l’Égypte).

 

Après avoir présenté le désengagement unilatéral israélien de Gaza à l’été 2005 comme la « victoire » de la résistance armée contre l’occupant israélien, le Hamas a tactiquement provoqué Israël jusqu’au déclenchement de l’opération « Plomb durci ». Par-là, il a disqualifié auprès de l’opinion publique israélienne, pour longtemps, la stratégie de Sharon dite « territoires contre paix », voie de résolution du conflit qui apparaît pourtant désormais comme la plus bénéfique territorialement pour les Palestiniens.

 

Enfin, le conflit a mis en évidence la vulnérabilité du Hamas dans la bande de Gaza. Le Hezbollah disposait au Sud-Liban d’une base facilement approvisionnée par l’arrière via la Syrie. Au contraire, le Hamas opère à partir d’une enclave de 360km² qui fait l’objet d’un blocus terrestre et maritime ; il se retrouve donc dans un cul-de-sac stratégique qui n’offre pas de voie d’approvisionnement alternative. En outre, comparé au Parti de dieu, le bras armé du Hamas reste peu aguerri et mal équipé.

 

 

 

Pour le gouvernement israélien

 

Tel le phénix, le Hamas devrait renaître de ses cendres : s’il l’affaiblit militairement, le conflit armé le sauve politiquement à Gaza et renforce sa popularité en Cisjordanie. Aux dépens du Fatah dont il accélère l’isolement politique en discréditant la stratégie du dialogue préconisée par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

 

Les hostilités risquent d’exacerber de nombreuses menaces externes et internes à la sécurité de l’État hébreu et à la stabilité de son régime : du déclenchement d’une « troisième Intifada » au soulèvement nationaliste de sa minorité d’origine arabe, en passant par la reprise des attentats suicides, la contagion du conflit à la Cisjordanie, l’ouverture d’un second front contre le Hezbollah libanais et la pénétration de djihadistes d’al-Qaïda dans la Bande de Gaza consécutive à un éventuel vide politique post-conflit.

 

Le conflit suscite la sympathie des opinions publiques régionale et internationale. Radicalisée, la « rue arabe » délégitime les gouvernements « modérés » et légitime les régimes « radicaux ». Elle stigmatise les régimes des présidents palestinien et égyptien Mahmoud Abbas et Hosni Moubarak comme des complices objectifs d’Israël, le premier parce qu’il proteste mollement contre l’intervention militaire israélienne, le second car il maintient fermé le poste frontière de Rafah après avoir reçu la ministre israélienne des Affaires étrangères quelques heures avant le déclenchement des opérations. Au contraire, elle apprécie les régimes des présidents iranien et libyen Mahmoud Ahmadinejad et Mouhammar Kadhafi comme les porte-paroles des sans-voix désireux de résister à l’État hébreu. La perspective d’une normalisation des relations bilatérales de certains pays arabes avec Israël se trouve ainsi un peu plus compromise.

 

Le gouvernement israélien perd également « les cœurs et les esprits » des opinions publiques occidentales. Ces dernières sont indignées par la létalité disproportionnée des moyens employés par Tsahal. Evacuant dorénavant toute prise en compte de la légitimité des fins poursuivies par le gouvernement israélien, elles manifestent massivement pour protester contre la poursuite de l’offensive.

 

 

 

Pour les États-Unis

 

Le conflit confirme la perte d’influence des États-Unis dans la médiation du conflit israélo-palestinien, enterre le processus de paix d’Annapolis lancé en novembre 2007 et sanctionne rétrospectivement le service après-vente diplomatique de la secrétaire d’État Condoleezza Rice.

 

En polarisant les acteurs régionaux entre « alliés de l’Occident » (l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite et l’Autorité palestinienne) et « soutiens du Hamas » (l’Iran et la Syrie), la dynamique conflictuelle régionale hypothèque à plus long terme la politique américaine au Moyen-Orient.

 

En refusant de nouer le dialogue avec l’« organisation terroriste » du Hamas parce qu’ils craignent que sa reconnaissance formelle apparaisse comme une victoire diplomatique, les États-Unis se privent du levier de la médiation internationale. Il en va de même pour l’Union européenne, alors même qu’elle est le premier partenaire commercial d’Israël (avec lequel elle a rehaussé ses relations bilatérales en décembre 2008) et le premier bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne.

 

 

 

CONCLUSION

 

Au terme de la deuxième semaine de l’opération « Plomb durci », le compte à rebours diplomatique s’accélère. La pression diplomatique internationale monte d’autant plus rapidement que les « bavures » militaires israéliennes indignent les opinions publiques.

 

Dans l’immédiat, l’acceptation par les belligérants d’un arrêt des hostilités implique de trouver un compromis entre l’exigence de sécurité du gouvernement israélien et les demandes de concessions du Hamas. L’accord devra stipuler l’instauration d’un cessez-le-feu pérenne, l’étanchéification de la frontière égypto-gazaouie à la contrebande d’armes et un retour à l’accord de 2005 sur l’ouverture des frontières de Gaza avec l’Égypte et Israël. Il devra inclure la création d’une force internationale de maintien de la paix chargée, en général, de surveiller la mise en œuvre du cessez-le-feu et, en particulier, de patrouiller le « corridor de Philadelphie ».

 

L’un des rares effets productifs du conflit pourrait être la victoire du parti travailliste d’Éhoud Barak aux prochaines législatives. Dès lors, après l’entrée en fonction du nouveau président américain, les conditions seraient à nouveau réunies pour une relance volontariste du processus de paix.

 

Politiquement, le conflit a affaibli le Fatah et renforcé le Hamas dans les Territoires palestiniens. Le premier ne disposera plus du capital politique suffisant pour légitimement réamorcer seul le processus de paix avec Israël. Sortir de l’impasse nécessitera donc de relancer le processus interne de réconciliation nationale palestinienne, probablement sous l’égide d’une médiation égyptienne. Un gouvernement d’union palestinien devra être reformé. Parce qu’il fait partie du problème, le Hamas devra faire partie de la solution.

 

Au-delà, la voie la plus prometteuse pour résoudre le conflit territorial entre deux nations aux sentiments belligènes – une nation israélienne apeurée et une nation palestinienne humiliée – demeure, concomitamment à la réussite du processus de paix israélo-arabe, la normalisation des relations bilatérales (ce qui implique la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël) en contrepartie du retrait des territoires conquis en 1967.

Nicolas Martin Lalande, pour l'Institut Thomas More

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Oxytoyen
Newsletter
Oxytoyen
Publicité